Christophe Imbs: Manière douce, matière forte

Christophe Imbs: Soft Power

(Label OH!/L’Autre Distribution)

Avec ce titre « Soft Power », en forme d’oxymoron, le pianiste Christophe Imbs nous entraine dans un nouveau projet dans la droite ligne de son « For Your Own Good! » (Label Oh, 2018), Il invite ici le saxophoniste Julien Lourau à rejoindre le groupe. La batteuse Anne Paceo reprend les baguettes alors que Joan Eche-Puig tient la contrebasse. En passant ainsi du trio au quartet, Christophe Imbs repousse encore un peu plus loin la dynamique de sa musique. Il dessine un simple riff ou une mélodie au piano, en pure acoustique, avant de la dynamiter à l’aide pédales d’effet généralement réservées aux guitaristes… Julien Lourau est alors trop heureux de pouvoir faire tonner son ténor, soutenu par la paire rythmique ébouriffante. Alternant en permanence entre force et douceur, sérénité et énergie, les compositions du pianiste strasbourgeois guident l’auditeur dans un monde où une certaine vivacité organique côtoie l’émotion pure.

Un album littéralement envoutant.

Pierre Marcus: et de quatre!

Pierre Marcus: Second Life

(Jazz Family/Socadisc)

Pour ce quatrième album, le contrebassiste niçois, exilé à Paris pour sa « Second Life », Pierre Marcus retrouve sa garde rapprochée, Simon Chivallon, Baptiste Herbin et Thomas Delor. Il nous concocte dix titres inspirés dont il compose l’essentiel, il emprunte un air à Gabriel Fauré, un gospel à Thomas Dorsey et une chanson à Matt Dennis. Il ose même deux titres avec une vocaliste, on appréciera tout particulièrement le très bel « Angel Eyes ». Petite nouveauté, trois batteurs se succèdent derrière les futs, le fidèle ami Thomas Delor, Benjamin Hencocq et le néo-newyorkais Raphaël Pannier. Le swing, le phrasé de Simon Chivallon et le souffle toujours inventif de Baptiste Herbin (magnifique solo de soprano dans « Le Soleil de Kalinka ») apportent beaucoup d’étoffe à cet album. Le trompettiste Sylvain Gontard, vient poser quelques notes en invité, dans un « Blues for My Cheez » de toute beauté. Quant au jazz old school « Crazy Fish » il est tout simplement délicieux comme les bonbons acidulés de notre enfance.

Un jazz moderne, frais et chatoyant, ce « Second Life » de Pierre Marcus est incontestablement l’album de la maturité.

Une musique que l’on espère découvrir sur scène…

Sylvain Luc, guitare solo

Sylvain Luc: Simple Song

(Space Time records/ Socadisc)

Pour son nouvel album, Sylvain Luc puise 19 chansons dans son copieux songbook. Des thèmes qu’il interprète à sa façon, en solo, avec une simple guitare acoustique folk ou classique. Un bel éclectisme entre le « Children Song  » de Chick Corea qui débute le disque et « Guardian Angel » (la fameuse compo de McLaughlin dans le non moins fameux « Friday Night In San Francisco », on découvre quelques petites perles (pas seulement écrite par ou pour des guitaristes), telle la magnifique (et touchante) version de « Lili » de Pierre Perret et la -non moins- belle interprétation du tube de Carole King « You’ve Got a friend ».
Il signe tout de même deux titres dont celui qui donne son nom à l’album « Simple Song ». Sylvain Luc caresse la chanterelle et ses compagnes avec délicatesse ou les pince avec énergie. Qu’elles soient de métal ou de nylon, ils les faits osciller, chanter, vibrer. Sous ses doigts, elles nous racontent des histoires, nous émeuvent, nous enjolivent, nous promènent avec « Lili », « Julia », « Josie », sous l’arc-en-ciel avec l’indifférence de la fleur de Lune pour changer le monde.

Bien sûr, Sylvain Luc est un guitariste virtuose mais ici point de démonstration juste de l’émotion, à tel point que sa playlist on la fait notre avec délice!

Les Dirty Talks de Kevin Saura

Kevin Saura Group: Dirty Talks

(Rubaskapeu Prod. / Inouïes Distribution)

Guitariste virtuose au jeu élégant, Kevin Saura a longtemps peaufiné sur scène cet album « Dirty Talks » qui parait enfin. Nous l’avions découvert sur la scène du Jammin Juan en 2019 avec déjà la même équipe, Mikaël Berthelemy à l’orgue, Romann Dauneau (le complice) à la basse électrique et le batteur Antonino Zuppardo, à laquelle se joint le percussionniste Philippe Ciminato. Kevin Saura signe toutes les compositions du CD, des thèmes inspirés par John Scofield, (référence revendiquée, le titre « Scoffee » en atteste) ou encore Wes Montgomery mais aussi un jazz plus fusion ou teinté de blues (le très Jimmy Smith « Double Cheese » ou même un coté funky plus brut dès la première plage « Duck Walk » avec son solo de basse groovy et le chorus de guitare qui donne le ton d’entrée. Le B3 et les percussions apportent des couleurs très chaudes à ce disque sans tomber dans le latino.
Un album qui consacre le guitariste mais aussi le compositeur et l’arrangeur ainsi qu’un groupe à la fort belle cohésion.
Le jazz azuréen recèle de beaux musiciens en pleine ascension!

Quand une contrebasse duotte avec une clarinette

Sylvain Kassap & Hélène Labarrière: Dédicaces

(Label Emouvance/ Absilone)

Hélène Labarrière: contrebasse; Sylvain Kassap: clarinettes, chalumeau

Un duo clarinette-contrebasse ce n’est pas si courant et pourtant à l’écoute de cet album en tous points magnifiques, Sylvain Kassap & Hélène Labarrière nous montrent que ces deux instruments sont faits pour s’entendre tout comme les deux musiciens pour s’accorder. Quatre compositions pour chacun et une merveilleuse reprise « Jaurès » de Brel, pas anodine par les temps qui courent.
Fantaisies intimes, dialogues en catimini, ballades alanguies ou gaillardes. Improvisations mêlées, entremêlées, les notes s’enchâssent les unes aux autres pour bâtir des harmonies jubilatoires ou des émotions plus ténues.  
Et puis oser un titre comme « Cure d’inefficacité » en plein milieu d’un album, mérite une mention spéciale d’autant que le morceau, avec sa clarinette virevoltante, contredit évidemment l’intitulé du thème écrit par la contrebassiste. Un album précieux.

Les chimères de Romain Dugelay

Romain Dugelay trio: Chimères

(Compagnie 4000/Inouïe Distribution)

Chimères est le trio créé par le saxophoniste Romain Dugelay sur le label Compagnie 4000 dont il est le fondateur. Une formation acoustique intrigante qui sonne grave: le trombone de Simon Girard associé au baryton du leader, enchâssés par le piano d’Anne Quillier. Trombone et baryton, tonnent, grognent, caquettent, ruminent sur un piano qui, en accords ou en trilles, semble leur proposer une échappatoire.

Une musique qui joue sur les textures, les rythmes. Des compositions inspirées par les dessins de Rama Taupia. Des créatures baroques, les Chimères donc, telle le pigeon à tête d’éléphant qui orme la pochette, qui viennent hanter les notes, faire bifurquer les harmonies cuivrées.  Un jazz hybride qui doit tout autant au free qu’à certaines séquences New Orleans ou encore à des réminiscences de compositeurs de la fin du 19e siècle.
Un album qui donne envie d’explorer l’univers tant de Romain Dugelay que de Simon Girard et qui confirme le talent d’Anne Quillier

Anne Quillier : piano, Simon Girard : trombone,
Romain Dugelay : saxophone baryton & compositions

Herbin – Gardel

Baptiste Herbin & Nicolas Gardel 4et:
Symmetric

(Matrisse Productions/ L’autre Distribution)

Après un voyage dans les musiques latines, Baptiste Herbin revient dans l’hémisphère nord. Il s’associe avec le trompettiste Nicolas Gardel. Un musique moderne et éclatante où les deux solistes s’appuient sur une paire rythmique (sans contrebasse) de haute volée. Un quartet boosté aux hormones du groove électrique de Laurent Coulondre, ses synthés et son B3 et la frappe (ultra) vitaminée de Yoann Serra. Plutôt que de faire un album de genre, ils revisitent quelques courants du jazz: soul, funk, modal, blues (avec l’excellent « Zappy »). La trompette, filtrée, puissante, en impose dans « YoYo » pourtant écrit par le saxophoniste tout comme le sax dans « 10.07 » écrit par Gardel. Les superbes ballades « Endless Memory of You » et « Heart Breaker » nous permettent d’apprécier un joli jeu des deux soufflants qui se complètent plus qu’ils ne s’affrontent. Duende final, le très andalou « Arcos » nous guide vers la sortie…

Une gourmandise jazzy de la plus belle eau. Chapeau Messieurs!

Sylvain Gontard, le NJO et Miles

Régulièrement, depuis sa création en 2008, le Big Band Azuréen Nice Jazz Orchestra propose un concert dans le très cosy théâtre Francis Gag. Cette année, ils ont choisi de nous faire revivre l’atmosphère du Cool Jazz, initié par Miles Davis avec son album fondateur: « Birth Of The Cool ». C’est au trompettiste Sylvain Gontard qu’il confie le rôle de Miles,

il est entouré de huit des musiciens du NJO. Soit, quatre cuivres dont un tuba, deux sax et la section rythmique typique de cet ensemble (Christian Pachiaudi contrebasse, Alain Asplanato batterie, Frédéric D’oelsnitz piano). Le nonette va nous jouer tous les thèmes du disque, au gré de l’inspiration du chef d’Orchestre, Pierre Bertrand (il prend aussi le micro, entre les morceaux, pour nous narrer quelques anecdotes aussi drôles que pédagogiques).

On ne détaillera pas la setlist mais on notera quelques moments forts. Jeru composé et arrangé par Gerry Mulligan avec un fameux chorus au baryton de Jean Christophe DiconstanzoBudo, magnifique ouverture au piano de Frédéric D’Oelsnitz qui se fond très bien dans le rôle de Bud Powell, dédicataire du titre. Sylvain Gontard nous prouve tout son talent dans un solo aussi fringant qu’élégant. Petite entorse au programme avec My Ship, titre signé Kurt Weil qui provient de l’album Miles Ahead, dans une version réécrite: ils étaient presque 20 en 1957! Philippe Bleuez y joue une surprenante mais gouleyante partition de cor, transposée pour le bugle. Le final du set se fait avec un Move de près de huit minutes où les trois solistes Pierre Bertrand à l’alto, Sylvain Gontard à la trompette et Cyril Galamini au trombone rivalisent de virtuosité dans une longue succession de courts chorus.


Il ne reste plus que le rappel, « Walkin », un thème de Miles très enlevé, piqué à un album de Art Pepper pour lequel Philippe Gallois troque le tuba pour un trombone basse.

On ne peut rêver de plus belle conclusion pour ce concert qui rendait hommage à Miles Davis mais aussi -et surtout- aux fins arrangeurs que furent Gerry Mulligan, John Lewis et Gil Evans.

Rendez-vous en mars prochain, Messieurs!

Le 26/03/23 au Théâtre Francis Gag – Nice (06)

Espièglerie contemporaine

Mikel Urquiza :Espiègle

(L’Empreinte Digitale)

Espiègle,
le nouvel album de l’ensemble de musique contemporaine C Barré est le fruit de sa rencontre avec le compositeur basque Mikel Urquiza en résidence d’artiste ainsi qu’avec le groupe vocal de Stuttgart Neue Vocalsolisten. Le chef d’orchestre Sébastien Boin dirige ces malicieuses courtes pièces (22) reparties en 6 séquences, d’abord instrumentales puis a cappella et enfin mêlant voix et instruments dans des formes variées. Les espiègleries se cachent parfois dans les instrumentations: Mandoline, guitare, harpe ou saxophone, accordéon, percussions et voix de soprano par exemple. Mais aussi dans l’inspiration débridée du compositeur jusque dans des citations de La Marseillaise, de Monk ou même de Stockhausen (il y en a peut-être même d’autres à découvrir). Un humour que pratique déjà l’Ensemble C Barré, tout à fait à son aise dans ce registre. Il suffit d’écouter Elurretan, la guitare de Remi Reber et la mandoline de Natalia Korsak ont l’air de se marrer toutes seules face au sérieux de la harpe d’Eva Debonne. Les parties vocales ne sont pas en reste, les sept chanteurs de Stuttgart se fondent à merveille dans cet univers délicieusement loufoque. Songs of Spams (quel titre!) en est la preuve réjouissante. Les amateurs de musique ancienne se régaleront plus particulièrement de ce Cancionero sin palacio, inspiré d’un manuscrit de la renaissance (espagnole bien sûr) que le compositeur basque a spécialement composé pour les douze musiciens de C Barré qui s’en délectent goulûment!  Comme le rappelle Pavese, le travail fatigue, Lavore Stanca, premier morceau de l’album, dès lors, il est bon de prendre le temps de se perdre un moment dans cette musique jubilatoire. Dan Albertson cite avec justesse l’interrogation de Zappa Does Humor Belong in Music?  dans le livret, alors osons Bobby Lapointe:

J’ai fantaisie de mett’ dans ma vie
Un p’tit grain de fantaisie, youpi, youpi.

Ensemble C Barré (direction: Sébastien Boin)
Annelise Clément: clarinette en si bémol, clarinette basse;
Joël Versavaud: saxophones (soprano, alto, ténor, baryton);
Matthias Champon: trompette; Élodie Soulard: accordéon;
Jérémie Abt, Claudio Bettinelli, Lucie Delmas: percussions;
Natalia Korsak, mandoline; Caroline Delume, Rémy Reber: guitare;
Eva Debonne: harpe; Cyril Dupuy: cymbalum; ·Antoine Alerini: piano;
Marine Rodallec: violoncelle; Charlotte Testu: contrebasse

Neue Vocalsolisten Stuttgart:
Johanna Vargas: soprano  1;  Suzanne Leitz-Lorey: soprano 2;
Truike van der Poel: mezzo-soprano; Martin Nagy: ténor;
Guillermo Anzonera: baryton; Andreas Fischer: basse

Le retour d’ASTA

ASTA:2

(Bonsaï Music/L’Autre Distribution/Idol)

André Ceccarelli: Batterie; Sylvain Beuf: Saxophones;
Thomas Bramerie: Contrebasse; Antonio  Faraò: Piano

ASTA est l’acronyme des prénoms des musiciens du groupe, André, Sylvain, Thomas, Antonio. Et 2 parce que c’est leur deuxième album après « Passers Of Time » en 2019.  Mais en fait, les quatre compères se fréquentent depuis plus de vingt ans et chacun d’eux a accompagné ou enregistré avec les autres. En neuf titres dont ils se partagent la paternité, les ASTA célèbrent leur amitié, leur amour du jazz et la joie de jouer ensemble. Un plaisir qui se ressent à chaque note de cet album fringant qui swingue quand il faut, qui boppe à l’occasion. Les saxophones de Sylvain Beuf sont toujours aussi chaleureux (magnifique soprano dans « Slow Steps »). Le piano harmonieusement virtuose d’Antonio Faraò sait aussi se mettre au service de ses compagnons. Thomas Bramerie dont l’élégance du jeu n’est plus à démontrer, se fait fin mélodiste. Quant à André « Dédé » Ceccarelli reste fidèle à ses balais magiques même si, bien sûr, il ne dédaigne pas caresser ses peaux d’imaginatives baguettes.   

Du blues, du jazz et du roman noir… Et du bon vieux Rock