Guitariste virtuose au jeu élégant, Kevin Saura a longtemps peaufiné sur scène cet album « Dirty Talks » qui parait enfin. Nous l’avions découvert sur la scène du Jammin Juan en 2019 avec déjà la même équipe, Mikaël Berthelemy à l’orgue, Romann Dauneau (le complice) à la basse électrique et le batteur Antonino Zuppardo, à laquelle se joint le percussionniste Philippe Ciminato. Kevin Saura signe toutes les compositions du CD, des thèmes inspirés par John Scofield, (référence revendiquée, le titre « Scoffee » en atteste) ou encore Wes Montgomery mais aussi un jazz plus fusion ou teinté de blues (le très Jimmy Smith « Double Cheese » ou même un coté funky plus brut dès la première plage « Duck Walk » avec son solo de basse groovy et le chorus de guitare qui donne le ton d’entrée. Le B3 et les percussions apportent des couleurs très chaudes à ce disque sans tomber dans le latino. Un album qui consacre le guitariste mais aussi le compositeur et l’arrangeur ainsi qu’un groupe à la fort belle cohésion. Le jazz azuréen recèle de beaux musiciens en pleine ascension!
Nasser Ben Dadoo – guitare voix; Matthieu Tomi – basse; Pascal Versini – clavier; Rob Hirons – Batterie Nadir Benmansour – chœurs ; Djamel Taouacht – percussions.
Guitariste, compositeur, bluesman, né dans les quartiers Nord de Marseille, Nasser Ben Dadoo aime à prendre le nom deWhite Feet pour la scène. Avec ce nouvel album « Blue Legacy » il poursuit sa route du blues, du delta, à Chicago, en passant par les bords de l’Huveaune et les rives sud de la Méditerranée. Il s’accompagne à la guitare électrique ou acoustique, il est rejoint par quelques compagnons de route: basse, batterie, clavier, percussions. Dès le début du disque, il reprend, s’approprie plutôt, le Keep Your Lamp Trimmed and Burning de Blind Willie Johnson, du pur blues roots avec la guitare slide qui va bien et une voix rocailleuse à souhait (qui n’est pas sans rappeler le regretté Arno). Il enchaîne avec un magnifique Yema (maman) qu’il chante en arabe, soutenu par un orgue façon B3 et la guitare solo lumineuse du malien Vieux Farka Touré, en invité (mazette!). Il mêle ensuite l’arabe et l’anglais dans un Gat Fish des plus fun, très certainement inspiré du fameux CatFish Blues de Robert Petway. Il reviendra vite à l’anglais et osera même un passage en français, Laurier Rose. Huit compos, deux reprises et une chanson co-écrite avec Terry Lee Hale, le plus marseillais des guitaristes texans. Un beau voyage à bord d’un blues, électrique, éclectique et enflammé. Du blues from Marseille, muri en Bourgogne et du bon ! Il n’a pas été finaliste de L’international Blues Challenge De Memphis en 2023 par hasard.
Janis Joplin & Jorma Kaukonen: The Legendary Typewriter Tape
(Omnivore Records)
Janis Joplin: vocals; Jorma Kaukonan: guitare; Margareta Kaukonen: Typewriter
En ce 25 juin 1964, Madame Kaukonen (Margareta de son petit nom), tape, avec la détermination d’un Dashiell Hammett survolté, sur son Underwood dans le salon de l’appartement familial.
A l’autre bout de la pièce, la jeune Janis Joplin, 21 ans et, celui qui à 24 ans n’est pas encore le guitariste du Jefferson Airplane, Jorma Kaukonen, tentent de faire un peu de musique ensemble. Ils ont un magnétophone à bandes et, malgré les tcha, tchak, gling de l’épouse, ils vont -mais ils ne le savent pas encore- livrer quelques sept petites perles bluesy à la postérité. « Est-ce qu’on enregistre? » demande Janis en regardant le bruit fait par les touches de la machine à écrire. Jorma, impassible, s’accorde et c’est parti pour Trouble In Mind. Ils enchaineront par Long Black Train puis, plus tard, par le fameux Hesitation Blues qui fera le bonheur des fans du Hot Tuna à presque tous leurs concerts. Ils finissent cette séance par une compo de la chanteuse, Daddy, Daddy, Daddy. Jorma a déjà son style inimitable à la six-cordes acoustique et une parfaite maitrise du manche, quant à la voix de Miss Joplin elle n’est pas encore martyrisée par les excès. Un petit bijou! 23 courtes minutes magiques qui réapparaissent enfin en numérique, en CD et en vinyle avec un son remasterisé. On est loin des K7 pirates de 6 ou 7e génération qui circulaient sous le manteau et dont le pleurage et le scintillement rendaient presque inaudible la musique et pourtant déjà quel bonheur.
Ben Sidran: Piano, Hammond organ, tambourine and voice
Leo Sidran: drums, bass, guitar, Hammond organ and voice
& friends
On ouvre toujours un album (fut-il numérique) de Ben Sidran avec un brin de nostalgie, lui qui nous accompagne depuis tant d’années, surtout si, le dit album, se nomme: C’est qui le vieux mec maintenant ? Et même s’il ne s’agit que d’un EP, le frisson est quand même là! Entre deux explosions de la pandémie, Ben et son fils Leo, multiinstrumentiste, ont préparé des cinq chansons dans un studio. Puis quelques amis musiciens, les ont rejoints, ils ont rajouté des parties de guitares, d’orgue ou de percussions. Vingt courtes minutes de pur Sidran donc. Le fameux laid back, le phrasé décontracté, le petit esprit blues qui ne s’éloigne jamais vraiment, « Blues is the bottom line » nous dit-il. Le Ben d’aujourd’hui est-il plus sage que celui de sa jeunesse ? il donne lui-même la réponse dans le dernier titre de l’album:
« Old wine new bottle You don’t know what to think Have another drink of that wine »
Dans cet album sous-titré, The Early Years of Billie Holiday, le groupe Hot Sugar Band, rend hommage à LA chanteuse de jazz que fut Eleonra Fagan, dites Lady Day, plus connu sous son nom de scène: Billie Holiday. Le répertoire de l’album plonge dans les premiers titres de la chanteuse dans les années 30. Quelques thèmes sont devenus des standards tel Fine and Mellow, The Man I Love ou encore Yesterdays (avec un « s » pas celui de Sir Paul). Nicolle Rochelle relève le défi et prête sa voix à Billie avec bonheur, sans en faire trop, sans chercher à l’imiter. Une voix chaude, un chant gouailleur, un phrasé un peu trainant qui illumine ses blues. Mais ces cantilènes ne seraient rien sans les sept Boys du Hot Sugar Band (HSB pour les intimes) les font vibrer, les font swinguer avec une efficacité redoutable.
Des arrangements léchés. Les soufflants (trompette, sax, clarinettes) fusent, s’égaillent, les chorus jaillissent. Guitare et piano alternent entre rythmique et courts solos alors que basse et batterie recadrent tout le monde.
Alors, si au bout de deux à trois morceaux vous ne tapez pas du pied…
Thomas Naïm:guitares; Marcello Giuliani: contrebasse; Raphaël Chassin: batterie.
Il est tentant quand on est guitariste et qu’on aime le rock de s’attaquer au répertoire de Jimi Hendrix. Mais il faut avoir quelque chose à dire avec ses dix doigts et ses six cordes pour que le jeu en vaille vraiment la chandelle et, à ce jeu-là, Thomas Naïm fait vraiment très fort. Il suffit d’écouter la version jazzy de Fire qui ouvre l’album pour se rendre compte qu’il ne veut pas faire un hommage, en jouant note à note, les morceaux du génial guitariste de Seattle, comme ces nombreux tribute bands insipides. La présence de Hugh Coltman et sa voix, savamment nonchalante, sur deux titres confirme la bonne impression du début. L’un des grands moments du disque est la reprise de Villanova Junction qui fit le bonheur des 30 000 personnes encore là, au petit matin du 18 aout 69, à Woodstock. le trio de Thomas Naïm en donne ici une version toute en retenue et en élégance. Evitant les fioritures ou les effets de manche (de Stratocaster). On s’amusera du jeu à la Dick Dale dans une adaptation étrange de Purple Haze. Parmi les autres invités de l’album, Erik Truffaz ornemente façon jazz Manic Depression avec sa trompette, on se prend à rêver qu’Hendrix puisse entendre ça! Quant aux deux titres en acoustiques, Little Wing et Voodoo Child, elles nous mènent au cœur du blues. Superbes arrangements pour un jeu tout en feeling.
Thomas et Jimi, paire d’as.
Après un album très jazz où elle chantait du Chet Baker, Léa Deman infléchit son répertoire avec des influences plus rock, plus blues qui vont fort bien avec sa voix qui se fait plus rauque moins charmeuse qu’avec Chet. Le lineup, deux guitares, basse, batterie ne laisse d’ailleurs aucun doute. Ça rock dès le deuxième titre « Why No Ending« . Si la chanteuse signe et écrit toutes les compositions, la direction artistique est confiée à l’ex chanteuse Guesch Patti, mais le disque doit aussi beaucoup aux arrangements -et au jeu- du guitariste Claude Barthelemy. Quelques réminiscences jazz reviennent dans « Berceuse Bleue » qu’elle chante en anglais malgré le titre, un phrasé à la Dee Dee Bridgewater. Mais, le sommet de l’album est l’excellent blues en deux parties à deux guitares rageuses, « I’m A fool« , Barthelemy et Guery se partagent les chorus, faisant hurler leur guitare avec un plaisir manifeste. Vers la fin, Lea Deman se laisse aller à swinguer avec « My Friends« , ces amis qui l’aident parfois à remonter la pente.
Une voix chaude à découvrir avant que l’été ne décline.
Norbert Galo aime le blues et les guitares alors, quand il décide après des années de « session man » de faire enfin son album, il sort ses Fender vintage, sa Gibson, sa Gretsch, sa Taylor, et sa superbe Magnet Guitar Sonnet et probablement d’autres. Puis il rameute ses « friends », son quartet, Laurent Ververey (tout de même) à la basse , Félix Sabal-Lecco à la batterie et Christian Belhomme aux claviers, puis quelques invités au gré des titres. Six compos persos à découvrir tout au long de l’album (du blues du Delta au Chicago Blues) et six reprises. Et pour les reprises, il y va fort:
le All Blues de Miles (qui donne son nom au CD), magnifique version très électrique; Mercy Mercy de Zawinul (fallait oser) orgue – guitare jazzy s’entremêlent avec bonheur, on l’aurait aimé plus long; Crossroads Blues de Robert Johnson, plus classique, mais là encore il la fait sienne; Help The Poor« , popularisé par BB King et enluminé ici par la trompette d’Éric Le Lann. Mais le plus surprenant, voire le plus casse gueule, c’est, après celles du grand Jacques et des frères Décamps, leur version de « Ces gens-là » de Brel. Mais Norbert Galo a eu l’excellente idée de confier les parties vocales (parlées-chantées) à l’américaine, belge d’adoption, Berverly Jo Scott. Blues lent, un peu d’accordéon, la strato discrète et câline, les balais qui effleurent les peaux, les cymbales. Magistral. En toute fin, un petit délice sucré, moins de deux minutes, le Cantina Band, extrait du premier Star Wars.
La soirée commence à la FNAC, au forum avec la présentation de la saison du Nice Music Live par Frédérica Randrianome suivi d’un showcase chaud brulant de Lucky Peterson, accompagné de son gratteux préféré, Shaw Kellerman. Ils seront rejoints par Tamara Tramell pour un final rythm and blues.
Le temps de se rendre jusqu’à l’esplanade du TNN, le lobby est déjà rempli d’un public impatient.
Le concert double plateau, débute par le set de Sarah Lenka.
(Son concert avait dû être reporté pour cause d’intempérie en décembre). Elle nous présente le répertoire de son dernier disque. Un hommage aux chanteuses qui ont su se faire une place, qui ont su raconter les violences faites aux femmes. Imaginez une femme noire du sud des États-Unis dans les années 50-60! Bessie Smith, Bessie Jones et la merveilleuse Billie Holiday, entre autres, sous le patronage du musicologue Alan Lomax. Sarah est accompagnée par un super groupe, mené par les guitares (électrique ou acoustique) de Taofik Farah. Derrière, à la batterie, Yoann Serra, l’autre batteur niçois, assure la pulsation vigoureuse mais subtile qu’on lui connait. Nouveauté, il chante aussi, quelques morceaux, les chœurs, une deuxième voix derrière Sarah!
Puis, on retrouve Lucky Peterson toujours affublé de sa casquette rouge, il s’installe derrière son Hammond. Il se fait tout de même attendre, le temps pour son groupe de chauffer la salle, un blues nerveux mené de la Telecaster par Shaw Kellerman, dont le look évoque aux plus anciens, celui du texan Billy F. Gibbons. Du blues, du rythm and blues, de la soul, le cocktail Peterson fonctionne impeccable. Il prend sa guitare mais s’assoit sur une chaise préparée à cet effet ce qui ne l’empêche ni de triturer ses cordes ni de chanter. Et quand il casse l’un de ses cordes, il prend à peine le temps de l’arracher pour continuer son solo. Le groupe assure un puissant background pour leur leader. Le bassiste reste placide, le batteur frappe sec, au fond ou devant les claviers sont omniprésent. Quant au second guitariste, un œil sur tous les autres, il mouline en permanence, tant en solo qu’en rythmique. A l’exception du moment où la belle Tamara Tramell (Miss Peterson à la ville) entrée sur scène un peu avant, entreprend un duo romantique avec Lucky, assis derrière son piano électrique. Moment magique! Quelle voix!
Après une fausse sortie d’un Lucky qui semble fatigué, le show repart de plus belle et se termine par le passage du bluesman, guitare en bandoulière, dans la salle. Il s’arrête à quelques centimètres de votre serviteur, et nous régale d’un Johnnie B. Goode d’anthologie.
Suivi de près par un roadie, Mr Peterson quitte alors la salle, archi pleine, du théâtre de Nice pour rejoindre la table de dédicace dans le hall d’entrée, qui devient, à ce moment précis, le hall de sortie.
Depuis leur premier album, il y a 3 ans, les deux petites Lilix & Didi ont grandi mais, à 15 ans, désormais plus jeunes femmes que gamines, elles ont toujours une rage adolescente qui fait plaisir à entendre (et probablement à voir).
Dans ce nouvel enregistrement paru fin 2018, elles se partagent toujours la basse, la batterie et les parties vocales mais elles ont, en plus, recruté, Zoé, une jeune guitariste et claviériste pour renforcer le groupe. Le grand, Lio (Lionel Riss des MoOonshiners) fait toujours partie de l’équipe avec ses Stratocaster et ses chorus cinglants mais bientôt, elles risquent de n’avoir plus besoin de lui. ( on pourra avoir alors un album des Mooons, précédemment cité!). Les voix, qui pêchaient un peu dans leur premier opus, ont gagnés en assurance et en maturité.
Au programme de ce nouveau CD, beaucoup de reprises des grands anciens. Les Ramones pour se mettre en appétit, The KKK take my baby away. Sham 69, If The Kids Are United qui leur va si bien, chanté en français. Le Clash, avec un vibrant White Riot. Une petite pépite, un Renaud du temps où il n’embrassait pas les flics, « Camarade Bourgeois » qui sonne dans leurs bouches comme si la chanson avait été écrite hier. Les femmes ne sont pas oubliées avec une version rageuse d’un titre des anglaises de Made of Ace (leurs grandes sœurs). Comme le blues est l’essence de tout, elles s’y reviennent en tâtant après Steve Ray Vaughan, du John Lee Hooker, Boom Boom! Wouah! Pour finir, le parrain, le tonton punky, Didier Wampas, avale une mouche avec elles, en toute fin d’album!
Punk certes, mais c’est surtout du bon gros Rock’n’roll que ce brave Lemmy eu autant apprécié qu’un godet de son Jack!