Fourrure vibrante

FUR: Bond

(BMC Records / TriCollectif)

Bond est le deuxième album du trio franco-belge FUR.
Ensemble atypique où
les clarinettes d’Hélène Duret (elle joue aussi dans le trio Suzanne) sont entourées
par la guitare électrique de Benjamin Sauzereau (entendu dans le septet d’Eve Beuvens) et
la batterie (et divers bidules) de Maxime Rouayroux ( membre du Synestet d’ Hélène Duret) .
Atypique aussi est leur musique, pas facile à caser dans une seule boite. Ils bousculent les codes du jazz, qu’ils maitrisent parfaitement. Ils y mettent des harmonies classiques, quelques bouts de rock, de folk ou de pop pour en faire leur propre son agrémenté ensuite de parties improvisées.  Une boucle à la clarinette sur laquelle la guitare dépose des accords puissants avant de distiller quelques motifs filtrés par un rack de pédales d’effets. Arpèges de la six-cordes propulsés par les cymbales sur lesquelles se posent la mélodie bourdonnante de la clarinette basse
Onze fabulettes instrumentales électriques et… bondissantes.

Le label hongrois BMC, ici en partenariat avec les frenchy de Tri Collectif, nous propose de bien belles perles musicales. Petit bonus, le magnifique visuel de la pochette, signée Anna Natter, rend cet objet aussi beau à voir qu’à écouter.

Ben Sidran a le blues

Ben Sidran: Rainmaker

(Bonsaï Music / Socadisc)

Le pianiste américain Ben Sidran, 80 ans et toujours alerte, sort un nouvel album intitulé Rainmaker. Enregistré dans nos contrées (un studio de Meudon) sous la double houlette du multi-instrumentiste Leo Sidran, son fils et de Pierre Darmon, son producteur en France depuis près de 20 ans. Il est entouré d’une fort belle équipe de musiciens venus des deux côtés de l’atlantique, Billy Peterson, Rick Margitza, Mike Mainieri entre autres pour les américains, Rodolphe Burger, Olivier Ker Ourio, Max Darmon ou Denis Benarrosh pour les français. Ben Sidran reste fidèle à son style inimitable fait d’un mélange de jazz old school et de blues et surtout fidèle à son phrasé nonchalant, crooner laid back, oscillant entre chanté et parlé. Il signe neuf des onze compos du CD et revisite deux titres des maitres bluesmen que sont Jimmy Withespoon et Mose Allison. Il fait, avec ses textes, un retour sur lui-même et constate que le monde d’aujourd’hui ne va pas très bien, we have lost our way, times gettin’ tougher than tough mais il garde quand même la petite étincelle qui fait avancer I face the future with a smile. Petite anecdote, il reprend à son compte une mélodie qu’il avait écrite en 1974, Hey Hey Baby dont le rappeur MC Solar s’est accaparé sans vergogne pour en faire son tube victime de la mode. On préfère de loin l’original à la contrefaçon!
Alors comme on dit en Sicile, Cent’Anni, Mister Sidran.
On attend déjà vos prochains mots, vos prochaines notes.

Le quartet de Jacky Molard & François Corneloup

Jacky Molard/ François Corneloup Quartet:
Entre les terres

(Label Emouvance / Absilone)

Ce voyage musical « Entre les terres », que nous proposent le violoniste Jacky Molard et le saxophoniste François Corneloup, nous entraine des contrées balayées par le vent de la Bretagne jusqu’aux montagnes des Balkans en passant par les landes tourbées d’Irlande mais aussi dans des lieux fantasmés par les gigues (jigs) du quartet. Ils sont accompagnés, entourés plutôt, pour ces vagabondages à quatre, par la clarinettiste Catherine Delaunay et le violoncelliste Vincent Courtois. Un court riff du baryton nous fait pénétrer dans cet univers qui mêle jazz, musiques folkloriques aux influences celtes et musiques improvisées du 21e siècle. Chacun des quatre instruments raconte un morceau de l’histoire, les cordes s’allient pour mieux répondre aux souffles des vents. Baryton et violoncelle installent un paysage rythmique pour laisser la clarinette virevolter dans une improvisation pétillante. Plus tard, le violon reprend la narration sur une très belle ligne de basse du violoncelle, le saxophone, en embuscade, est prêt à nous donner sa version. Et quand la musique court sur son Erre, elle devient chambriste, le quartet se fait, un temps, quatuor. Mais l’esprit de la danse reprend vite sa place en se rapprochant des embruns armoricains de Plinn ar Mar.  Avant de nous ramener Entre les Terres où le baryton semble retrouver son ostinato initial, nous incitant à repartir dans l’Intime Nomade

       

Leïla Martial et les chants Pygmées

ÄKÄ Free Voices Of Forest

(Colore/L’autre Distribution)

(lineup en fin de chronique)

Leïla Martial aime à s’investir dans des projets aussi différends qu’originaux, de Baa Box à Octotrip en passant par Rituels avec l’ONJ ou le récent Le jardin des délices, un duo, tout à fait exquis, avec le violoncelliste Vincent Ceccaldi.  Avec cet album, Äkä Free Voices of Forest, dont elle assume la direction artistique, elle explore une nouvelle voie de voix.
Une série d’échanges artistiques avec l’Ensemble NDIMA de la République du Congo. Une rencontre entre deux cultures, celle des pygmées d’Afrique et de la musique européenne de la vocaliste et de ses deux compères multi-instrumentistes Remi Leclerc et Eric Perez.  Un disque enregistré lors de la tournée de plus de trente dates qui a suivi.  Des compositions originales ou des arrangements spécialement écrits pour l’occasion.  Des voix, beaucoup de voix, des percussions et parfois un clavier. Des harmonies vocales auxquelles nous sommes peu habitués: chants solos, yodel (passage de la voix de tête à la voix de poitrine) ou polyphoniques contrapuntiques, cris, bruits, peaux frappées ou caressées. Étrangement le chant aka traditionnel qui débute cet enregistrement est suivi par un autre, tout aussi traditionnel, mais d’origine occitane. L’interpénétration des deux univers est frappante, métissage total. Les suivants ne feront que confirmer cette impression revigorante: la musique permet des dialogues, des conversations entre des gens qui ne parle pas la même langue qui vivent de façons totalement différentes et qui partagent la même envie de se comprendre, de s’écouter, d’échanger, d’improviser puis de partager avec un public cette expérience musicale féconde.  Dans les deux derniers morceaux, Leïla Martial passe un peu au-devant de la scène et prouve que son surnom de vocaliste multi-timbrée n’est pas usurpé dans une performance vocale aussi sidérante que brillante.

Vivement la prochaine série de concert…    

Le groupe NDIMA (Peuple Aka de la République du Congo):

Angélique Manongo, Emile Koule, Nadège Ndzala (chant, mains claquées), Gaston Motambo, Michel Kossi (tambours, arc musical, chant), Sorel Eta (chant, percussions)
et
Leïla Martial (voix), Rémi Leclerc (voix, body-percussions, clavier),
Eric Perez (voix, percussions, compositions)

Fred Chapellier sur Seine

Fred Chapellier: live in Paris

(Dixiefrog)

Fred Chapellier: lead guitars, lead vocals;
Gents: Christophe Garreau: bass; Guillaume Destarac: Drums; Jeremie Tepper: guitar; Patrick Bladran: guitar.
Soufflants: Pierre d’Angelo: Saxophone; Eric Mula: Trumpet; Michel Gaucher: Saxophone.

Le guitariste Fred Chapellier a une bonne trentaine d’années de carrière derrière sa guitare. Il n’est jamais aussi expressif, aussi à l’aise qu’en Live, qu’il soit en sideman (comme récemment avec les Dutronc père & fils) ou avec ses propres groupes. Sa discographie l’atteste. Il rajoute donc un opus, enregistré au Jazz Club Etoile, salle mythique pour le blues dans la capitale. Double CD dans un très beau digisleeve trois volets. Près de deux heures de musique, soit, probablement, la totalité du concert de ce soir-là.

Il est fort bien entouré de ses Gents, un power quartet, deux guitares, basse, batterie mais aussi, c’est plus rare, une triplette cuivrée, deux saxs et une trompette pour donner encore un peu plus de peps à sa musique.
Pour la setlist, il plonge dans son dernier album studio « Straight to The Point » (Dixiefrog 2022), il y rajoute quelques titres concoctés avec ses potes LeadFoot Rivet, Neal Black ou Billy Price. Il n’oublie pas non plus l’hommage à ses figures tutélaires que sont Peter Green et Roy Buchanan. Blues lents ou crémeux, shuffles débridés, un brin de boogie et même il le dit lui-même du Rock’n’Roll (« the blues had a baby and they named it rock and roll  » chantait Muddy Waters) et, cuivres obligent, du rythm and blues (écoutez le bouillonnant « Love That Burns » qui clôt presque le set. Du blues, du vrai. Du feeling, des solos de guitares (avec des bends d’un ton et demi). La voix un peu éraillée où pointe toujours cet accent français fait partie du charme de Fred Chapellier.   

Du nanan pour les fans du frenchy blues guitar hero et un bon moyen d’entrer dans son univers pour ceux qui ne le connaitraient pas encore.

Big Band enchantant, en chantant

The very big experimental Toubifri Orchestra: Outre

(Label La Grande Expérimentale / Inouïe)

En 1984, Frank Zappa demandait au monde « Does Humour Belongs In Music ? », en répondant positivement dans un mémorable album éponyme. Bien des années plus tard, le grand ensemble français,
« The Very Big Experimental Toubifri Orchestra« ,
18 ans d’âge désormais, plussoie avec vigueur. Ce 4e album « Outre« , (tout comme le nom du groupe) en est une preuve flagrante. Il ne faut pas moins de 18 pupitres pour faire leur musique fantasque, joyeuse, drôle, enlevée, délicieusement raffinée. En un mot: jubilatoire. Ils font (selon leurs propres mots) de la musique des grands espaces. Celle qui emmène l’auditeur dans les confins du jazz, de la pop, du rock, du free et même des musiques savantes des 20 et 21e siècles. On revient à Zappa dont la science des arrangements se retrouve dans les expérimentales joutes des Toubifri. Mélissa Acchiardi derrière son vibraphone, ses percussions, serait donc la Ruth Underwood de cet ensemble lyonnais? Entourée de toute une équipe de soufflants allant de la flûte à l’euphonium avec, comme il se doit, claviers, guitare, basse et batterie.

Comme souvent, chez les gens qui professent l’humour, tout est fait avec beaucoup de sérieux. Les titres instrumentaux, « Dust » en tout premier lieu ou encore « Tournicoti » où la guitare passe (enfin) devant, en attestent. Mais ils chantent, aussi, toutes et tous, ou presque, des textes en français ou en anglais, poésies absurdes ou surréalistes, voyage dans la canopée. Ils ont même mis des notes sur un très beau poème (ils le sont tous) de Richard Brautigan.
Alors –osons- il serait très vraiment dommage (et même dommageable) de passer Outre ce magnifique album!

Mélissa Acchiardi – vibraphone, percussions; Lionel Aubernon – percussions; Stéphanie Aurières – saxophone baryton;  Aloïs Benoit – trombone, euphonium;  Félicien Bouchot – trompette, bugle; Mathilde Bouillot – flûtes;
Thibaut Fontana – saxophone ténor;  Lucas Hercberg – basse électrique;
Grégory Julliard – trombone, tuba;  Emmanuelle Legros – trompette, bugle; François Mignot – guitare électrique; Yannick Narejos – saxophone ténor;  Benjamin Nid– saxophone Alto;  Alice Perret – claviers;
Yannick Pirri – trompette, bugle;  Corentin Quemener – batterie, percussions;  Damien Sabatier – saxophone alto;  Laurent Vichard – clarinettes

Janick Martin Trio

Janick Martin Trio: Sông Song

(Le Grand Pas/Coop Breizh)

Un trio à l’instrumentation peu commune, Janick Martin à l’accordéon diatonique (petit cousin du volumineux chromatique) aux sonorités folkeuses, la guitare électrique de Julien Tual (une Stratocaster) et le trombone de Simon Latouche qui se donne des airs de jazz.

Leur musique, essentiellement signée Janick Martin est, tout autant, peu commune. Elle emprunte parfois aux airs traditionnels (breton ou kurde), détourne une ritournelle du barde néerlandais Dick Annegarn ou s’inspire de voyages. Mélodies, anciennes ou nouvelles, croquées en mode découverte.

Les sons mélancoliques du diatonique s’enchevêtrent dans ceux très électriques (parfois rock) de la guitare, le trombone butine de l’un à l’autre, en basse fréquence!  Compagnon de route, le saxophoniste Robin Fincker pose les notes de son ténor sur deux morceaux. On pourrai qualifier cet album de breizh jazz mais doit-on mettre la musique dans des cases. Jazz, il y a, musiques de danse aussi. Mais aussi la joie de la musique improvisée et de l’écoute. Dialogues complices à trois.

Très belle réussite que ce premier opus de Janick Martin. Accordéoniste virtuose que l’on avait découvert auprès du violoniste Jacky Molard ou du violoncelliste Vincent Courtois. 

Claude Tchamitchian en trio

Claude Tchamitchian Trio: Naïri

(Label Emouvance/Socadisc)

Claude Tchamitchian aime à changer de format pour sa musique, du solo au tentet, la palette est grande. C’est le trio qu’il a choisi pour son hommage à l’Arménie. Naïri est le nom poétique donné à ce pays. Une formation pas courante, à sa contrebasse, il adjoint la clarinette de Catherine Delaunay et la guitare acoustique de Pierrick Hardy. C’est d’ailleurs lui qui, de quelques arpèges délicats, entame le disque. La clarinette arrive peu après sur une faussement simple ligne de basse. Claude Tchamitchian ne tardera pas à user de l’archet dont il est friand. La poésie s’installe. L’album est composé de trois suites de deux ou trois mouvements et d’une composition simplement nommée « Armenia ». Si la nostalgie est un peu partout dans l’album, elle est prégnante ici avec sa courte phrase répétée dans de subtiles variations où le timbre riche et chaleureux de la clarinette de Catherine Delaunay est au premier plan.

Émotion, équilibre et sensibilité. Sensualité aussi, « Le temps d’une caresse » qui clôt ce disque le confirme. Le guitariste y retrouve les arpèges du début incitant l’auditeur à reposer la lumière bleutée du laser sur la première plage pour continuer, un temps, le voyage.

COCCOLITE phase 3

Coccolite: Extrasystole

(La Pluie Chante/Inouïe)

C’est peu dire qu’on l’attendait ce nouvel album du trio Coccolite surtout après avoir eu la chance de les voir en live. Et on n’est pas déçu.

Coccolite au jardin de la Paix – Jazz à Junas – juillet 2022

Les trois compères Nicolas Derrand (claviers), Julien Sérié (batterie) et Timothée Robert (basse/synthés) confirment tout le bien que l’on pensait de leur groupe. Leurs compositions tantôt hypnotiques tantôt sidérales voire cybernétiques (les petits sonals dignes de R2D2 dans « CPU 180° ») gardent une trame jazz en y ajoutant quelques festons de groove, d’électro et surtout une furieuse envie de s’éclater à faire leur musique – sans pourtant tomber dans un dance floor déshumanisé. En bref, il reprenne la recette que l’on goutait avec délices dans leurs premiers opus en la pimentant de nouvelles trouvailles. La petite intro en piano solo qui mêle, en ouverture l’album, Chopin à Bill Evans avant d’envoyer le gros son ; batterie en scansion tendue, ostinato à la basse et les synthés qui se déchainent. Plus tard, dans « L’épitre de Mikail », la flute aérienne de Christophe Zoogonès qui donne une petite touche de lumière, un clair-obscur à la Caravaggio, dans cette atmosphère assez sombre. Sombre mais dansante surtout pour ceux qui aime à bouger les pieds en écoutant de la musique. Et, comme ils osent nommer l’une de leurs chansons sans paroles  « Qu’il est agréable de croiser un chevreuil en Forêt », (la plus belle du disque), on ne peut que se décider à aller faire un tour dans leur univers, quitte à friser l’arythmie le temps d’un CD !

Alerte aux Pieds-Bleus

The Blue-Footed Boobies

(Binaural Prod)

Un titre clin, d’œil au dessinateur Morris, pour vous présenter quatre musiciens, chaussés, sur scène comme à la ville, de belles baskets bleues:
The Blue-Footed Boobies.


Ronan Le Quintrec, (dit Ronan Onemanband) guitariste-chanteur costarmoricain, adepte (entre autres) de la cigar box guitar, bootleneck au petit doigt, avec la voix éraillé d’un vieux bluesman du Delta. Associé avec trois musiciens des bords du Lacydon*, Marko Balland, harmoniciste, vieux routier du blues qui accompagne San Severino depuis 2017, Pascal Blanc, bassiste aussi à l’aise dans le groove électrique puissant de 3 in A Box que derrière certaines stars de la chanson française et enfin Guillaume Dupré, batteur d’un des grands groupes métal français (ETSH, hélas dissous). En matière de blues, l’album sera fortement teinté de boogie (à la John Lee Hooker).

Douze titres -normal pour du blues!- qui oscillent entre le Mississipi des regrettés Rural L. Burnside (période électrique avec Cedric, le fiston, à la batterie) et  HoundDog Taylor et celui plus chicagoan de Mister Hooker (déjà cité). Cependant, Ronan n’hésite pas à délaisser ses électriques pour une bonne vieille guitare acoustique dans Grey Wolf, une ballade en duo, presque country, l’harmonica se fait alors tendre. Mais vite,  This is Hip, un bon riff de basse remet les choses en place, la batterie impose un shuffle impeccable. Quant à Want You – oui les histoires d’amour malheureuses et la booze sont l’essence même du blues- il sera certainement ZZ Top approved si Billy entend ça un jour dans un jukebox de son patelin du Texas. On pourrai multiplier les références tant leur musique est ancrée dans la tradition du blues, James Cotton qui souffle derrière Muddy Waters (période Johnny Winter) mais les Blue-Footed Bobbies ne sont pas un tribute band, ils ont leur propre personnalité, un style où se conjugue la verve des deux solistes (guitare et harmonica) et celle de la paire rythmique qui assure une métrique aux petits oignons alliant swing (mais si) et rudesse de bon aloi !  

L’un des deux-trois meilleurs albums de blues de 2023, idéal pour commencer 2024 en les écoutant taquiner la septième mineure !

* Lacydon: nom grec de la calanque qui est aujourd’hui le Vieux-Port de Marseille

Du blues, du jazz et du roman noir… Et du bon vieux Rock