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Vide Médian

Timothée Robert : Vide Médian

(Ilona Records/L’autre Distribution)

Le bassiste Timothée Robert sort en ce début de printemps son premier album en leader. Un disque au titre superbe « Vide Médian » qui évoque une théorie taoïste d’un troisième souffle au-delà du Yin et du Yang…  Au-delà de la trompette d’Olivier Laisney et du saxophone de Melvin Marquez, là où s’engouffrent les claviers de Nicolas Derand, la batterie de Clément Cliquet et la basse électrique groovy de Timothée Robert. Il signe les onze compositions de cet album de jazz résolument contemporain. Le thème Mother Song en est un bel exemple avec son arpège répétitif au piano (on pense à Philip Glass) sur lequel se pose les notes à peine susurrées de la trompette dans les graves, rejoint longtemps après, en contrepoint, par le saxophone. Magique, mystique. Mais tous les titres ne sont pas aussi méditatifs. Le suivant, intitulé Testaments est presque chantant. Certains autres ont des rythmiques plus alambiquées, des riffs ou des chorus de basse, inventifs, puissants (écoutez Nasika Bushani ou Mi C si T). Par-delà son groupe phare Antiloops, Timothée Robert révèle avec ce Vide Médian, un compositeur, arrangeur de grand talent et un bassiste véritablement inspiré.

Fables birmanes

Anne Paceo: Fables of Shwedagon

 (Laborie Jazz/Socadisc)

Pour ce nouvel opus, la batteure Anne Paceo innove une fois encore. Un enregistrement original, bigarré qui mêle musiciens européens et birmans, instruments classiques et asiatiques dont les noms seuls sont une invitation au voyage (Hsaing Waing, Maung Zaing ou encore Si Wa). Mélodies jazz, harmonies classiques contrastent avec des thèmes et mélopées d’Asie. Dix instrumentistes qui vont inventer un nouvel univers à la croisée de nombreux chemins en gardant la liberté de l’improvisation. Anne Paceo compose quatre des sept titres, les trois autres sont des airs traditionnels birmans réarrangés pour l’occasion. La batterie et les percussions ont le beau rôle mais les autres musiciens ne sont pas en reste. Au saxophone, l’impeccable -as usual- Christophe Panzani. A la guitare, un habitué des formations de Miss Paceo, Pierre Perchaud. Le piano de Leonardo Montana s’accorde à merveille avec la flute de Htun Oo (écoutez le Myanmar folk song). Comme quoi le jazz peut aller se nicher dans les plus lointains, les plus petits recoins et qu’il suffit parfois juste de vouloir l’écouter pour l’entendre.

L’enregistrement a été fait en live au festival de Jazz sous les Pommiers, on regrette que faute de place sur le CD, le set ne soit pas complet. Peut-être un jour verra-t-on une édition spéciale avec une seconde rondelle en bonus!

Le voyage d’Enrico et Claude

Enrico Pieranunzi: Monsieur Claude

(Bonsaï Records/Sony)

Le jazz s’acoquine de plus en plus souvent avec la musique classique. Les jeunes musiciens formés aux deux écoles dans les conservatoires s’y engouffrent souvent avec volupté (Edouard Ferlet, David Chevallier, les frères Enhco). Mais de grands anciens ont déjà prouvé qu’ils savaient y faire aussi dans cette double appartenance. Le pianiste italien Enrico Pieranunzi est de ceux-là. Il avait déjà interprété brillamment les sonates de Scarlatti en 2008. Mais avec ce nouvel album entièrement dédié à Debussy, il est au meilleur des deux mondes. Chaque thème est écrit ou inspiré par Monsieur Claude. Pieranunzi se les approprie puis les arrange à sa façon pour un trio jazz de haute volée puisque Diego Imbert et André Ceccarelli l’accompagnent. David El Malek rajoute quelques élégantes volutes de saxophone sur quatre morceaux. Bluemantique Leur adaptation de la Valse Romantique qui ouvre l’album est tout juste sublime. Ils font swinguer la musique de la fin du 19e siècle avec un naturel surprenant mais aussi celle du 21e puisque certaines mélodies comme My Travel With Claude sont entièrement de la main, des doigts du pianiste. Les amateurs de jazz vocal retrouveront avec délice la chanteuse Simona Severin sur quatre autres titres dont un final en beauté puisque c’est L’adieu de Guillaume Apollinaire. (Et souviens-toi que je t’attends)

De la grâce, des couleurs, du swing pour une belle invitation au voyage avec Messieurs Enrico et Claude.

 

Maillard Big Band

Thierry Maillard Big Band
Pursuit Of Happiness

(Ilona Records)

Après un album, en trio presque intimiste en 2016 et un en solo l’an dernier, le pianiste, compositeur et arrangeur Thierry Maillard repousse les murs du studio et s’offre un enregistrement en Big Band. Un Big Band de cuivres et de bois, quinze musiciens parmi la crème des jazzmen français. On ne les citera pas tous mais notons la présence de David Enhco à la trompette, de Stéphane Guillaume sax, flute et clarinette ou de Médéric Collignon son cornet et sa voix,  en invité sur deux titres. On imagine que l’ambiance des sessions a dû être festive. Et quand on dépose la rondelle dans le lecteur, on n’est pas déçu. On est plus proche de l’esprit de Gil Evans ou Laurent Cugny, voire du Zappa période Best Band You Never Heard In Your Life que du Duke Ellington des années 40. Thierry Maillard a fait un gros travail de compositions et d’arrangements pour ses huit titres inédits. Comme souvent en big band, la musique est très écrite mais Thierry Maillard accorde dans chacune de ses compos, à lui-même, ou à plusieurs solistes, une plage de liberté, et ils en profitent avec gourmandise. (Magnifique solo de Stéphane Guillaume dans Pursuit of Happiness, émouvante intro au bugle de Th. Enhco dans Unknow Planet). Un petit regret cependant, il manque, lubie (?) du chroniqueur, d’une guitare dans cet album. J’aurais bien vu Manu Codjia par exemple, se lancer dans quelques chorus dont il a le secret sur Modern Time ou sur le grandiose final Albatros, par exemple.

 

Simon Chivallon

Simon Chivallon: Flying Wolf

(Jazz Family/PIAS)

Après avoir accompagné de nombreux jazzmen français, voici le premier album en leader du pianiste Simon Chivallon. Dès les premières mesures, on est plongé dans un univers coltranien, période Giant Steps, le sax de Boris Blanchet est accompagné d’Antoine Paganotti qui frappe ses toms puissamment et caresse presque ses cymbales avant que le piano ne fasse son entrée. Le quartet, Gérard Portal est à la contrebasse, recevra l’appui sur deux titres de l’alto, toujours envoutant, de Baptiste Herbin et de la trompette de Julien Alour. Mais singer la musique du grand John n’aurait aucun sens, même pour lui rendre un hommage vibrant. Simon Chivallon et ses musiciens évitent le piège en s’imprégnant du maitre et en faisant leur propre son, leurs propres harmonies. Simon Chivallon qui compose neuf des dix titres, nous offre de belles improvisations au piano et une science de l’arrangement déjà bien éprouvée. Enregistré en live cet album est une belle réussite.

Ronan, le loup solitaire

RONAN ONEMANBAND: Lonesome Wolf

 (autoprod)

Après une maquette qui a longtemps fait patienter ses fans, le breton Ronan sort enfin son nouvel album: Lonesome Wolf. Il est toujours tout seul, c’est l’idée du One Man Band, une guitare dans les bras, une grosse caisse, une caisse claire au bout des pieds, un micro vintage. Ronan aime bien les guitares homemade, elles vont bien à son chant. Une cigarbox guitar, à l’ancienne quand dans le sud profond, on ne pouvait pas se payer une vrai gratte, ou alors une skate guitare issue d’une planche à roulette ou sa vieille électro flanquée du slogan « this machine kills fascists« , empruntée (le slogan pas la guitare) à Woody Guthrie. Sa musique c’est du blues roots, celui des pionniers, mais augmenté d’une belle énergie électrique qui le fait parfois tourner au boggie Hookerien. Il use souvent d’un bottleneck sur ses trois, quatre ou six cordes pour accompagner sa belle voix grave et profonde, (Sa marque de fabrique) rocailleuse et faussement nonchalante.  Les huit titres (on en aurait bien pris quatre ou cinq en plus) sont majoritairement ses compositions ou une adaptation à sa sauce de Blind Willie Johnson (In My Time Of Dyin’) et Son House (Death Letter Blues). Ses textes évoquent la booze, les retours de concert fatigué, les amours malheureux dans la plus belle tradition des blues du delta.

Le disque existe en CD, en vinyle et même en… K7 old school. Mais attention le crayon pour rembobiner n’est pas fourni!

Osez Ronan et surtout allez le voir quand il passera près de chez vous. Il de ceux que l’on n’oublie pas quand on l’a vu et entendu sur scène.

On peut le commander là
http://ronanonemanband.wixsite.com/ronan-omb
ou ici
https://www.facebook.com/ronan.onemanband
ou sur Deezer, Spotify, I-tunes et Apple musical

 

la cigarbox Guitar

 

julian Lage

Julian Lage: Modern Lore

 (Mark Avenue/PIAS)

Après avoir longtemps joué de la guitare acoustique en virtuose, Julian Lage s’est découvert une passion pour l’électrique, en l’occurrence une vielle Fender telecaster, cela avait donné un album fort gouteux aux confins du jazz, de la country et de la pop. Arclight en 2016. L’expérience a dû lui plaire car après un petit détour pour jouer du John Zorn avec Gyan Riley, il retrouve ses partenaires Kenny Wollesen & Scott Colley pour un nouvel album studio. Julian Lage a composé des mélodies simples et chantantes (il le revendique) qu’il dessine à la guitare comme au fusain avant d’explorer son manche pour les illustrer, les mettre en couleur. Un répertoire varié, du rock de The Ramble au swing de Earth Science en passant par le romantique Whatever You Say, Henry. Du jazz d’après-midi ensoleillée.

Tie-Break et James Andrews

Un samedi soir de mars, la Nouvelle Orléans est venue à Nice, en la personne du trompettiste et chanteur James Andrews. Pendant plus de deux heures avec un groupe de musiciens azuréens, il a fait, ils ont fait la fête à la musique, au jazz traditionel. En commençant comme prévu au programme par du Fats Domino. Mais James Andrews, surnommé le Stachmo du Ghetto, il habite Treme, ne met pas longtemps avant d’entamer un thème de Louis Armstrong, qu’il imite par moment à merveille. Les classiques se suivent pour le plus grand plaisir du public qui est dans sa zone de confort, il connait tous les titres ou presque. Grâce au piano virtuose de Fred d’Oelsnitz, on a le droit à un St James Infirmary attaqué façon bossa, avant que le naturel reprenne le dessus. Le chanteur est aussi un vrai meneur de revue, il apostrophe le public cherchant son approbation, Il nous parle de son grand-père, de la série TV Treme dans laquelle il a joué. Lunettes de soleil sur le nez, il parodie avec tendresse Ray Charles. Il distribue les solos à chacun de ses acolytes en les remerciant et en les faisant applaudir. Excellent Fabrice Vaure, aux saxophones et clarinette dont les contrepoints résonnent de swing et d’un brin de malice. Gilliard Lopes, contrebasse et Max Miguel, batterie assurent la rythmique, le groove, sans lequel toutes ses belles harmonies pourraient tomber à plat. Il nous amène en marchant, I’ Walkin’, sur la Blueberry Hill avant de conclure par un rappel, deux rappels. La setlist est épuisée, les musiciens aussi mais James relance le groupe pour encore un petit dernier ou deux puisqu’on y est.


Avant, ce très long set, nous avons pu profiter pendant près d’une heure de la musique sophistiquée, élégante, métissée du trio Tiebreak dirigé du piano par Cyril Benhamou, avec Gérard Gatto, arborant un superbe T-shirt, à la batterie et Patrick Ferné à la contrebasse. Avec Enter The Temple, ils ont essayé de nous faire pénétrer dans l’esprit du groupe, rythmes impairs, harmonies originales et savantes, mélopées répétitives et entêtantes. Nous avons tenté de participer vocalement à leur Transe avant qu’ils finissent par un blues loin d’être conventionnel.

Grizz-Li

Grizz-Li: Electric Bearland

(Tanière/Inouie)

Trompette : Aristide Gonçalves ; Trombone : Flora Bonnet
Saxophone Alto : Florence Kraus ; Saxophone Tenor : Bastien Ferrez
Sousaphone : Mathieu Choinet ; Batterie : Alexandre Bayle
Guitare Electrique : François Verguet
Guitare Electrique Et Chant : Jorge De Moura

Un brass band avec deux saxos, un trombone, une trompette et soubassophone (dans le rôle du bassiste) peut-il faire du rock?  Les huit musicien.ne.s de Grizz-Li affichent clairement leur réponse en treize titres. Oui! Certes leur rock tourne parfois au funk. Mais avec deux guitaristes qui savent envoyer du bois aussi bien que swinguer,   la barre est vite redressée. Un petit côté New Orleans est bien présent aussi, avec ce trombone qui pulse. On pense à Mac Rebennack, le bon Dr John, et pas seulement, parce que ce trombone est aussi joué par une femme. On entend aussi du style Beatles, façon Rocky Racoon. Bien qu’il chante –fort bien- dans la langue de McCartney, la filiation avec Raoul Petite semble évidente.  On s’amuse, on délire, on fait de la musique mais avec le plus grand sérieux! Que cela soit du rock, du jazz, du twist ou de la surf music.  Un album ambitieux et réjouissant.

 

Clovis Nicolas Freedom Suite Ensuite

Clovis Nicolas: Freedom Suite Ensuite

(Sunnyside /Socadisc)

Clovis Nicolas: bass
Brandon Lee: trumpet ; Bruce Harris: trumpet
Grant Stewart: tenor saxophone
Kenny Washington: drums

Second album en leader du contrebassiste français Clovis Nicolas, expatrié à New York, sideman très demandé dans la lointaine Amérique. Il revisite avec ce nouvel opus le fameux Freedom Suite de Sonny Rollins paru en 1958. Pas seulement un hommage mais une relecture en quintet, un trio sax, basse, batterie comme dans la version originale augmenté de deux trompettistes. Seul le titre éponyme est repris, décliné en trois parties. Clovis Nicolas, s’offre le petit plaisir de jouer les quelques mesures du thème à la contrebasse, avec quelques frappes de cymbales avant qu’il ne soit rejoint par les trompettes et le saxophone. Le reste du morceau coulera presque de soi. Les autres compositions sont de la plume du leader à l’exception du Little Girl Blue, un standard de Richard Rodgers, interprété en final, en solo. Tout au long du disque, les trois soufflants festoient allégrement, mêlant leurs voix ou prenant tour à tour leur part du gâteau musical. On le remarque particulièrement dans Grant S, plage 7. Discret, mixé en arrière, Kenny Washington (il a été le batteur de Dizzy et Lee Konitz, entre autres) assure un groove irréprochable, ne s’autorisant que quelques courts breaks en guise de solo.
Au-delà du compositeur et de l’arrangeur, c’est le contrebassiste, l’instrumentiste  (écoutez Nichols and Nicolas) qui est mis en valeur avec ce swinguant opus.
Notons qu’il n’est pas nécessaire de connaitre l’album de Rollins pour goûter celui-ci mais l’occasion est belle de le (re)découvrir. Le plaisir sera double.